CANNES 2004

 

Les 59 mensonges de Michael MOORE en anglais.

Introduction de Norbert LIPSZYC

Article du Figaro

Article de Libération

Les errance de M. MOORE par ADLER avec une mise en garde de N. LIPSZYC


Introduction

Intéressant de comparer ces trois articles, Figaro, Le Monde, Libération, sur le festival de Cannes et son palmarès. On constate que Le Monde, comme le jury d'ailleurs, est prêt à jeter aux orties toute intégrité artistique pour faire valoir un point de vue politique, aussi manichéen que ce qu'ils prétendent dénoncer. Cela fait longtemps que je dis que Le Monde a renoncé à toute intégrité pour promouvoir un projet politique totalitaire, là c'est encore évident, sur un sujet apparemment neutre. L'art dans le Monde c'est l'art de Staline ou de Hitler et rien d'autre. Et tout le reste est à l'avenant. Même le critique de Télérama sur les ondes de France Culture a reconnu que le film de Michael Moore primé à Cannes n'était pas un film, au mieux un pamphlet politique. Et les critiques du Masque et la Plume sur France Inter l'ont comparé à Karl Zéro, de la télé drôle, mais pas un film. Je constate ce même aveuglement et cette même volonté d'abandonner tout jugement, tout esprit critique et toute intégrité pour abattre Bush chez tous les "intellectuels de gauche" américains. Cette palme d'or de Cannes est le symbole de la démission totale du monde occidental, hors un dernier carré de gens, que , en temps normal, j'aurais âprement combattus. Je n'aime pas Bush, mais je pense que son entourage est le seul à avoir encore une vision du monde correcte, avec quelques intellectuels français (une trentaine peut-être en tout parmi ceux qui ont une certaine notoriété). C'est peu face à la meute qui hurle avec les loups : la salle debout pour ovationner un croisé totalitaire comme Michael Moore.

NL

 

FESTIVAL DE CANNES Jean-Luc Wachthausen Figaro du 24 mai 2004

http://www.lefigaro.fr/cannes/20040524.FIG0174.html

 

En couronnant le pamphlet «Fahrenheit 9/11», le jury présidé par Quentin Tarantino entre de plain-pied dans la polémique
Michael Moore inaugure la palme politique.

 

Pas de doute, Cannes aura été jusqu'au bout un véritable forum politique, de Sarajevo à l'Afghanistan, de la Maison-Blanche au Moyen-Orient, laissant de côté les bons sentiments ou les bonnes intentions pour opter vers un radicalisme affiché qui plonge le cinéma non plus dans le domaine subversif de l'art mais dans celui, plus irrationnel de l'engagement moral entre le bien et le mal, le faux et le vrai, l'ombre et la lumière, etc.


Commencé sous la menace des intermittents qui se sont pliés bon gré mal gré au dialogue instauré par le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, il s'achève spectaculairement avec une palme d'or très discutable, plus politique que cinématographique, plus choc que légitime et sans doute plus utile à Michael Moore qu'au festival lui-même, pris très souvent en otage par un jury soucieux d'imposer ses marques.


Voici donc le procureur de Flint couronné une deuxième fois, après que le festival a inventé spécialement pour lui le Prix de la 55e édition pour Bowling for Columbine. Tout comme Patrice Chéreau, l'an dernier, Quentin Tarantino et ses jurés ont voulu marquer cette 57e édition par un coup d'éclat en écartant les films les plus classiques.


Résultat : un palmarès qui voit la victoire d'un croisé anti-Bush, sûr de la justesse de son combat et tout aussi dangereux que l'ennemi qu'il dénonce dans la mesure où il se croit investi d'une mission : «Convaincre les électeurs américains de renvoyer chez lui l'homme le plus bête qui ait jamais participé à la course à la présidence.» Cette déclaration a le mérite d'annoncer la couleur, celle d'un pamphlet mais suscite quelques questions d'ordre journalistique et déontologique.


Du coup, la presse américaine qui n'a pas manqué de critiquer les facilités, les raccourcis et les faiblesses de ce docu-réquisitoire sans débat contradictoire, a posé la bonne question : Moore et son film de propagande auront-ils oui ou non la peau de George W. Bush ? Pour le reste, il y a de quoi être surpris par les déclarations du président Tarantino qui y voit un «grand film», alors qu'il est constitué en grande partie d'images TV recyclées. Si le cinéma est encore un art, Fahrenheit a tout de l'art de la manipulation d'images grossière (les larmes d'une femme irakienne opposées au clip pro-guerre de Britney Spears).


Enfin, cerise sur le gâteau, on ne manquera pas de souligner que le producteur de Kill Bill et de Fahrenheit 9/11 est le même, Miramax, dirigé par les frères Bob et Harvey Weinstein, et que cette palme fait la nique à Disney qui a refusé de distribuer le film aux États-Unis.


Pour le reste, l'Asie et la France, qui peuvent se partager le prix d'interprétation à l'actrice Maggie Cheung pour Clean d'Olivier Assayas, ont de quoi se réjouir. Outre ce prix d'interprétation, le cinéaste français méritait sans doute aussi le prix de la mise en scène, raflé par le road-movie poussif de Tony Gatlif, tandis qu'Agnès Jaoui (Comme une image) réussit ses dialogues au détriment d'une intrigue statique. Mais chassez la politique, elle revient au galop avec la réalisatrice israélienne Keren Yedaya, Caméra d'or pour Mon trésor (Or), qui a dénoncé «les souffrances et l'esclavage de plus de trois millions de Palestiniens».


Quant aux oubliés du palmarès, Walter Salles et ses émouvants Carnets de voyage sur la jeunesse du Che, Emir Kusturica et sa trépidante histoire d'amour sur fond de guerre en Bosnie (La vie est un miracle), Jonathan Nossiter et sa passionnante enquête sur le vin (Mondovino), Stephen Hopkins et son portrait éclaté de Peter Sellers, superbement incarné par Geoffrey Rush, ils n'étaient sans doute pas assez «tendance» cette année. Le jury leur a préféré le sanglant Old Boy du Sud-Coréen Park Chan-woo, laissant le Chinois Wong Kar-wai à sa litanie amoureuse (2046) et accordant un prix de consolation à Irma P. Hall, la mamie de Ladykillers des frères Coen.

Tout cela fait tout de même une bonne moisson de films. Comme toujours, le public aura le dernier mot en suivant ou non ce palmarès dans lequel la palme d'or joue sa réputation et sa crédibilité.

Michael Moore a reçu la Palme d'or pour son documentaire anti-Bush, "Fahrenheit 9/11"

LEMONDE.FR | 22.05.04 | 22h28    MIS A JOUR LE 22.05.04 | 22h46

Le réalisateur américain a été ovationné par le public debout pendant neuf minutes, samedi 22 mai, à la fin de la cérémonie de clôture du 57e Festival international du film de Cannes.

Fahrenheit 9/11 devient ainsi le premier documentaire à décrocher la Palme d'or depuis 1956, année où le trophée suprême du Festival de Cannes était allé au film de Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle, Le Monde du silence.

Michael Moore a dédié sa Palme d'or "aux enfants en Amérique et en Irak, et tous ceux dans le monde qui souffrent des actions" des Etats-Unis. "Ecrasé" par la récompense, décernée sous des tonnerres d'applaudissements, il a estimé que cette reconnaissance internationale permettra à son film de sortir aux Etats-Unis et "au peuple américain de le voir". "Beaucoup de gens veulent cacher la vérité, la mettre au placard mais vous l'avez sortie du placard", a-t-il dit à l'adresse du jury présidé par son compatriote Quentin Tarantino. "Si on dit la vérité au peuple, la République sera sauve", a-t-il ajouté en citant l'ancien président Abraham Lincoln, "un Républicain d'une autre trempe". Le "trublion" du cinéma américain a également indiqué avoir "le grand espoir que les choses changent". Et d'ajouter : "Je ne suis pas seul. Il y a des millions d'Américains comme moi et je suis comme eux".

Le réalisateur américain s'était déjà fait remarquer lors de la cérémonie des Césars, où il avait reçu le César du meilleur film étranger pour son précédent documentaire Bowling For Columbine, en remerciant la France pour son opposition à l'intervention des troupes américaines en Irak en mars 2003.

Couronnement aussi pour le jeune comédien japonais Yuuya Yagira, 14 ans (dans Nobody Knows, d'Hirokazu Kore-Eda) et pour l'actrice chinoise de Hongkong Maggie Cheung (dans Clean, d'Olivier Assayas), récompensés respectivement par les prix d'interprétation masculine et féminine.

Comme c'est souvent le cas à Cannes, les "favoris" (de la critique) n'apparaissent pas dans le palmarès final : 2046, la fresque romantique et cérébrale du Chinois Wong Kar-wai, La vie est un miracle du Serbe Emir Kusturica, ou, dans la course au prix d'interprétation masculine, l'Australien Geoffrey Rush, pour sa performance dans The Life and Death of Peter Sellers du Britannique Stephen Hopkins. Oublié aussi, le film du Brésilien Walter Salles, Carnets de voyage, relatant le périple à moto du jeune Ernesto Guevara, futur Che.

La cérémonie de clôture, qui devait être suivie samedi soir par une grande fête et un concert pour les 80 ans de la Metro Goldwyn Mayer, a donné lieu une fois de plus à une montée des marches sur le mode "glamour", à laquelle n'ont pas accédé les intermittents du spectacle français, dont les revendications avaient été au coeur de la première moitié du plus prestigieux des festivals internationaux.

Quelques heures avant le palmarès, la rumeur de Cannes laissait entendre qu'Old Boy du Sud-Coréen Park Chan-wook, Tropical Malady du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, et l'actrice Maggie Cheung figureraient au palmarès. Ce fut le cas. Old Boy, thriller-manga très violent, a reçu le Grand Prix du jury. Tropical Malady a partagé le Prix du jury avec l'inattendue "mama" noire-américaine Irma P. Hall dans The Ladykillers des frères Coen.

Inattendu aussi, le gitan Tony Gatlif, qui, pour la France, a décroché le Prix de la mise en scène pour Exils, un road-movie musical d'une très grande beauté visuelle sur le déracinement. La France à l'honneur encore avec le couple Agnès Jaoui/Jean-Pierre Bacri, auréolé du Prix du scénario pour Comme une image, qui avait été très bien accueilli par une presse américaine réconciliée cette année avec le choix d'une sélection cannoise qu'elle avait très sérieusement contestée l'an dernier.

Avec quatre trophées (Grand Prix du Jury, Prix du jury, et les deux prix d'interprétation), le continent asiatique a été particulièrement honoré par le 57e Festival de Cannes.

En récompensant aussi la cinématographie roumaine (Palme d'or du court métrage pour Trafic de Catalin Mitulescu), belge (Prix du jury du court métrage pour Flatlife de Jonas Geirnaert) et israélienne (la Caméra d'or, qui distingue un premier film, pour Mon trésor de Keren Yedaya), Cannes a également témoigné de l'éclatement géographique de la "planète" cinéma. Le Festival devait se terminer dimanche 23 mai avec la reprise en projections de l'ensemble des films de la Sélection officielle. Dans l'après-midi, le jury s'expliquera sur ses choix lors d'une conférence de presse, une première dans l'histoire du Festival, et dans la soirée, le film lauréat de la Palme d'or sera projeté une nouvelle fois en présence du réalisateur et de son équipe.

 

Cannes fête le Moore pas la guerre Par Philippe AZOURY et de BAECQUE Antoine et Didier PERON et Olivier SEGURET lundi 24 mai 2004 Liberation.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=208394

En décernant la palme d'or au réalisateur de «Fahrenheit 9/11», le jury, bien qu'il s'en défende, a privilégié le politique aux dépens du cinéma.

Cette palme n'est pas politique, nous avons récompensé le meilleur film...» Quentin Tarantino a d'emblée donné le ton, hier, lors d'une conférence de presse du jury, inédite dans l'histoire du festival. La quasi-totalité des questions a tourné autour de cette palme anti-Bush. Chaque fois, Tarantino a répondu cinéma, notamment par sa défense des genres généralement peu récompensés à Cannes, et du documentaire en particulier.

De fait, c'est historique : pour la première fois depuis Cousteau et son Monde du silence (tourné en 1955 avec Louis Malle), un documentaire rafle la palme d'or. Mais, énorme différence : entre le docu animalier des années 50 et la charge anti-Bush des années 2000, on peut mesurer l'évolution vers une dictature de l'actualité. C'est bien une palme contextuelle qui a été décernée samedi. Avec en toile de fond ces élections américaines que le monde entier est plus ou moins contraint de suivre, puisque notre sort à tous en dépend. La rumeur de cette palme a d'ailleurs commencé à se répandre dès la première projection cannoise, triomphale, de Fahrenheit 9/11. Et ce choix, malgré toutes les dénégations, est clairement politique : la palme d'or comme un bulletin de vote.

Comment ne pas rester admiratif devant l'incroyable ascension médiatique et universelle du sergent Garcia altermondialo, depuis Roger and Me (1989). Le plan média est exemplaire, qui, de Croisette en césars, a fini par imposer l'habile bateleur anticapitaliste dans un pays dont la culture politique semblait prédestinée à le recevoir. Chapeau pour l'efficacité militante.

Rassurant. Pour le cinéma, on se permet de froncer le sourcil : les films de Moore sont plutôt moches, parfois démagogiques et souvent expéditifs dans leur charge. Le problème avec Moore, c'est que lorsqu'il s'adresse, comme il le dit, à une masse américaine des «vendredis soir et du pop-corn», habituée à tous les raccourcis de la propagande télé (par exemple Fox News, l'ennemi désigné par Fahrenheit 9/11), les démonstrations de ses films-tracts ont une relative efficacité. Pour un public français aux oreilles duquel la cause est entendue, c'est un plaisir narcissique de réassurance : on aime admirer cet Américain si original qui pense comme nous, et de surcroît parangon d'américanité par son look... Godard, à sa manière, le dit plus cruellement : «Bush est moins bête que Moore ne le croit et lui est à moitié intelligent. Il ne fait pas de différence entre une image et un texte.»

De l'écurie Miramax. Un autre point fait problème : la conjonction entre le concurrent Moore et le président Tarantino. Tous deux battent le même pavillon : celui de Miramax, énorme écurie des «auteurs» indépendants américains, accessoirement filiale du studio Disney ­ avec lequel elle connaît des déboires, justement à propos de la diffusion de Fahrenheit 9/11 sur le territoire américain. On n'accuse personne d'avoir fait glisser les enveloppes sous les tables mais on peut pointer, une fois de plus, cette connivence aveugle à son propre sans-gêne.

Dans le sillage de Moore, il n'y a que peu de motifs à s'enthousiasmer. Hormis le choix indiscutable de Maggie Cheung, prix d'interprétation féminine pour Clean d'Olivier Assayas et le lot de consolation à Tropical Malady d'Apichatpong Weerasethakul, les autres récompenses soldent un saupoudrage mou. On voit bien l'habileté diplomatique qui consiste à favoriser la France, puissance invitante gratifiée d'un carton plein pour les trois films qui la représentaient en sélection : Clean, donc, mais aussi Exils de Tony Gatlif, énigmatique prix de la mise en scène, et Comme une image d'Agnès Jaoui, prix du scénario en collaboration avec Jean-Pierre Bacri. On s'explique moins le grand prix du jury remis au Coréen branquignol Park Chan-wook pour son film de baston foutraque Old Boy. A côté de la plaque aussi, le prix d'interprétation masculine à Yajira Yuuya, le jeune acteur du Nobody Knows de Hirokazu Kore-eda. Palme du loser : Wong Kar-wai pour 2046, victime d'une sorte de krach artistique au Nasdaq des auteurs.

Autres moeurs, autre jury : celui de la caméra d'or. Rien à dire sur le prix remis à l'Israélienne Keren Yedaya pour son premier film, Or, incontestable révélation.

 

Je n'aime pas le préambule de l'article d'Adler dans le Figaro, c'est celui d'un Juif de cour qui s'apprête à défendre quelque chose qui aidera sa communauté mais commence par carresser le prince dans le sens du poil, dans le cas présent, le prince est la doxa du monde journalistique, Bush est un criminel idiot.
Il faut descendre Michael Moore car ce n'est pas un homme honorable, c'est un stalinien de la pire espèce, prêt à tout pour imposer LA VERITE, c'est-à-dire qu'il faut tuer les ennemis de Michael Moore.
NL
 
Les errances de Michael Moore Par Alexandre Adler, Le Figaro du 26 mai 2004.
IDÉES La polémique autour de la Palme d'or décernée à Cannes au documentaire anti-Bush Fahrenheit 9/11. 
 



Michael Moore est un homme honorable. Je n'emprunte pas uniquement cette expression consacrée du Marc-Antoine de Shakespeare parce que je me prépare à l'exécuter par la suite sans sommation, mais tout simplement parce que je le pense. On ne devrait jamais connaître ceux que les aléas de la politique vous conduisent à attaquer: le contact personnel, ainsi que l'entendait Levinas, conduit toujours à nuancer le jugement moral, à entrer dans les raisons de l'Autre; bref, à diminuer l'antagonisme des idées lorsqu'elles sont incompatibles. J'ai eu le privilège de rencontrer Michael Moore à un précédent Festival de Cannes où je modérais un débat sur l'avenir du cinéma, et il m'a tout de suite été très sympathique (et peut-être réciproquement).

Né dans une famille ouvrière de Flint (Michigan), Mike Moore a passé sa jeunesse à l'ombre des souvenirs glorieux des grandes grèves de la sidérurgie de 1936, contemporaines de notre Front populaire. Sa famille était composée de syndicalistes, le plus souvent communistes ou communisants, et ce fils du radicalisme social américain a été le témoin désolé de l'effondrement de tout un mode de vie lié à la grande industrie, tout comme chez nous en Lorraine ou dans le Nord, dans la Ruhr, demain, hélas! Personne ne pourra contester la supériorité morale et culturelle de ce monde d'hier fait de solidarités multiples, d'égalitarisme démocratique et d'utopisme parfois naïf mais toujours constructif.
On y admirait davantage Roosevelt et son New Deal que la lointaine idole stalinienne qui, sous ces cieux américains, ne représentait qu'un petit geste de piété, déjà oublieux de l'ancien monde, tout comme le catholicisme déjà imbibé de liberté de conscience des Irlandais et des Italiens d'Amérique. Mike Moore, c'est l'évidence, a aimé passionnément vos parents, et il a pensé qu'ils avaient eu raison. En tout. C'est là la racine de son esprit de justicier qui pourfend désormais de film en film, et de livre en livre, les coupables qui, à ses yeux, ont organisé la destruction de ce monde. Pour le vieux Marx, il s'agissait d'un processus sans sujet ni fin, qui s'incarnait dans le dynamisme sans cesse plus destructeur du marché capitaliste en expansion. Pour Moore, qui dans le fond se rattache à un réformisme américain bien plus optimiste, il s'agit moins de cela que de l'orgueil, la démesure et l'immoralité des grands de ce monde qui sacrifient les petits à leurs ambitions démentes.

Ici, la psychologie de Mike Moore rejoint la grande histoire américaine. Né dans le Michigan, qui fut pendant la guerre de Sécession l'un des Etats les plus abolitionnistes et les plus «yankees» sans hésitation ni crise de conscience, notre auteur brûle d'en découdre pour le bien. Son véritable ancêtre, c'est le pasteur abolitionniste John Brown qui, trois ans déjà avant la guerre de Sécession, avait ouvert une petite guerre dans le Missouri avec les propriétaires esclavagistes venus du Sud et qui, quelques mois avant le déclenchement de cette guerre civile qu'il appelait sans cesse de ses vœux. Il sera tué par l'armée encore fédérale à Harper's Ferry, en Virginie, pour s'être emparé d'une plantation et y avoir libéré par la force tous les esclaves. Comme le dit le Chant de bataille de la République: «Son corps est descendu dans la tombe mais son âme est en marche». Il y a chez notre auteur la flamme du prédicateur protestant non conformiste, la conviction inébranlable de la justesse de sa cause et de l'horreur des péchés dont sont investis ceux qui se mettent en travers de sa route.
Tout cela en effet fait de Michael Moore un homme honorable. Mais un homme lucide? Il y aurait en effet beaucoup à dire sur la série des trois films pamphlets qui ont jalonné sa récente carrière de créateur. Le premier est une dénonciation larmoyante des délocalisations – qui oublie de nous dire que, dans les dix dernières années, son Etat natal du Michigan est sorti entièrement de la désindustrialisation et a créé des dizaines de milliers d'emplois tertiaires, notamment liés aux nouvelles technologies, qui n'existeraient pas sans la libération des échanges et le marché mondial.

On ne demande pas à l'auteur d'adhérer à la vulgate économique dominante mais, au moins, de la traiter avec un peu de problématique, de scepticisme. La même observation vaut pour son film suivant consacré, lui, à la prolifération des armes à feu et aux ravages que cette possession peut provoquer – ici, la mort de quatorze lycéens innocents dans une banlieue de Denver, ce qui représentait en ce printemps 1999 un bilan plus lourd que celui des pertes de l'armée américaine au Kosovo.

Ici encore, Moore se déchaîne en procureur et nous présente, par exemple, une utopie canadienne qui serait bien meilleure que la situation américaine, sans nous dire qu'en Nouvelle-Angleterre, la possession et l'usage modéré des armes à feu sont les mêmes qu'au Canada et pour les mêmes raisons culturelles: il s'agit de vieilles régions apaisées et non pionnières tournées à présent de plus en plus vers la culture politique de l'Europe. Nous ne saurons pas en revanche que son Michigan natal a aboli la peine de mort dès 1856 (toujours l'esprit des pasteurs yankees) et ne l'a plus jamais rétablie par la suite, même lorsque Detroit, touchée de plein fouet par la crise de l'automobile, fut devenue la ville la plus violente du pays. Pas davantage ne nous montrera-t-on l'usage abusif des armes à feu par des groupes séparatistes afro-américains tels que «Nation of Islam» de Farrakhan, assassin présumé de Malcolm X et professeur de violence du Libérien Charles Taylor et du Sierra-Léonais Foday Sanko, celui-là même qui coupait les bras des enfants.
Plus grave encore, dans Bowling for Columbine, on n'y trouve aucune trace de la nocivité des médias et en particulier des programmes sataniques sur Internet, dont l'influence semble avoir été décisive dans la folie meurtrière des trois adolescents coupables. Notre auteur préfère mettre le projecteur sur la vente libre des armes et sur elle seule; et comme la force morale de ses convictions l'affranchit de toute décence et respect de l'autre, le film se clôt sur une interview du pauvre Charlton Eston, dont on ne pourra ignorer l'avancement de la maladie d'Alzheimer.

La même cruauté philistine est évidemment encore à l'œuvre dans le film primé de la Palme d'or à Cannes: il va de soi que le gouvernement actuel est une cible légitime, comme à la baraque foraine, qu'il s'agisse de montrer le vice-ministre de la Défense, Paul Wolfowitz, bavant sur son peigne avant de le passer dans ses cheveux, ou le président Bush en débile semi-léger continuant à lire un conte pour enfants à une classe maternelle au moment où on vient le prévenir de l'attentat du 11 septembre.

Le livre de Michael Moore, qui est aussi un best-seller, est aussi nourri de ces «cheap-shots» («de coups à bon marché») qui ne grandissent ni l'auteur ni sa cause. Mais en même temps il faut comprendre que c'est là aussi que réside la popularité immense et ambiguë de l'homme: Michael Moore est resté fidèle à sa classe et à sa culture, c'est un regular guy qui apprécie le fast-food, l'ambiance communicative des combats de catch truqués et bon enfant, le cinéma en couleurs du samedi soir que l'on va voir en voiture sur grand écran, et plus généralement cette atmosphère familiale qui disparaît de l'Amérique.
Moore fait mouche parce qu'il est culturellement encore plus proche de cette Amérique profonde que Bush prétend encore incarner et remobiliser contre le laxisme moral et le laisser-aller esthète des riches libéraux de la Nouvelle-Angleterre et de la Californie. Avec Michael Moore, il est mal tombé, et c'est avec soulagement que les classes possédantes libérales chics – qui ne défendent ni la grande industrie, ni les syndicats, ni la famille ouvrière, ni le fast-food – font une ovation à ce gladiateur populaire qui combat pour elles par désespoir de l'existence. Tout cela fait donc de Moore un phénomène politique et culturel sérieux et, au risque de nous répéter, un homme honorable. Mais un cinéaste? Michael Moore n'est pas plus cinéaste en réalité que je ne suis automobiliste lorsque j'emprunte un taxi. Pour lui, caméra ou stylo, c'est tout un, ne sont que des véhicules pour transmettre une pensée juste et propagandiste. Ainsi que l'ont toujours pensé les puritains, le beau y sera toujours subordonné au vrai.

Ne cherchez donc pas chez notre auteur le moindre raffinement du montage, la moindre construction du récit, tout le déroulé de ses films est fondé sur la clarté de la démonstration soutenue par le procédé, fort contestable, de l'auteur qui apparaît tantôt en voix off, tantôt en pied, pour souligner encore, pour les retardataires, la portée de sa propagande. Il y eut, c'est vrai, d'Eisenstein à John Ford lui-même, d'immenses cinéastes qui ne détestaient point toujours la propagande; mais comme ils étaient précisément des artistes dont la dynamique picturale dépassait toujours les intentions idéologiques, ceux-ci trouvaient dans leur œuvre même l'antidote à leurs dépassements idéologiques: il ne fallut pas longtemps à Eisenstein pour dévaler la pente de la détestable «Ligne générale» à l'extraordinaire «Ivan le Terrible», qui en dit plus long sur le stalinisme que la morne prose répétitive de Soljenitsyne.
De la même façon, tous les films nationaux catholiques irlandais de John Ford sont d'épouvantables navets, son génie ne prenant son envol que lorsqu'il jette son regard d'aigle sur la société américaine, ses espoirs et ses craintes. Ce grand soldat que fut John Ford nous a laissé de la Seconde Guerre mondiale deux films qui relatent la défaite, la confusion et l'horreur de la bataille, Fabrice à Waterloo transposé dans les eaux amères du Pacifique.

Il faudra beaucoup de dialectique aux défenseurs de la Palme d'or de cette année pour nous présenter l'œuvrette agressive et parfois incohérente de Moore comme l'approche d'un Eisenstein du Michigan à la recherche d'une nouvelle écriture filmique. Or, il est inquiétant de constater qu'ici le Festival de Cannes est allé à l'encontre des intentions fondatrices qui ont présidé à sa naissance à la veille de la Seconde Guerre mondiale. De même que Richard Strauss et Hugo Hoffmansthal ont voulu à Salzbourg, au lendemain de la Première Guerre mondiale, jeter les bases d'un Festival humaniste et délibérément éclectique qui s'opposait terme à terme au culte monomaniaque des wagnériens de Bayreuth, de même Cannes est né d'une scission et d'une protestation contre le cinéma de propagande mussolinien, dont l'essentielle vulgarité s'affichait désormais sur les écrans du Lido de Venise.
Avec succès, puisque dès 1939 La Kermesse héroïque de Jacques Feyder écrasait par son nombre d'entrées, en Italie même, la grosse machine étatique et propagandiste qu'était Scipion l'Africain, œuvre par ailleurs particulièrement cruelle envers les éléphants.
N'idéalisons pas toutefois les choix du jury cannois: il lui arriva de primer des œuvres encore imparfaites mais dont la signification culturelle lui semblait importante, ainsi du Pather Panchali de Satyajit Ray qui annonçait la naissance d'un cinéma indien épique et un peu fabuleux, ou bien sûr de l'assez moyen Quand passe les cigognes du brave Kalatozov qui annonçait parfois maladroitement le dégel soviétique d'après-1956. Mais le sublime visage de Tatiana Samoïlova, tout de mélancolie juive et d'innocence slave mélangées, n'absout-il pas l'indulgence politiquement coupable du jury cannois?

La caractéristique de ces films qui ont pu bénéficier, à tel ou tel moment, d'un coup de pouce généreux, c'était bien qu'ils représentaient une cinématographie encore jeune mais prometteuse. On encourageait plutôt que l'on consacrait. Mais dans le cas Moore qui opère, rappelons-le, dans la culture cinématographique la plus avancée de la terre avec les moyens de l'industrie la plus performante, où est la promesse, où est la recherche? Et oserais-je ajouter, dans l'incorrection politique totale, où est l'audace pour un jury en Europe d'applaudir à tout rompre une démonstration de propagande qui comble les attentes d'un public foncièrement anti-américain qui pense déjà tout savoir de Bush, de son cortège et de ses gens?

Il n'y a pas de différence ici avec ces festivals d'Europe de l'Est, à Moscou ou à Berlin, qui applaudissaient à la critique vive du capitalisme d'en face mais étaient moins empressés à primer les œuvres audacieuses de critique sociale interne. Ici faut-il quand même dire quelques mots de notre anti-américanisme. Certes, la Palme d'or a été décernée par un jury où la gauche radicale chic hollywoodienne était fortement représentée. Et on comprend très bien qu'un Quentin Tarantino hostile – comme le montrent parfaitement ses films, notamment Kill Bill 1 et 2, que l'on peut voir en salle en ce moment – ait entretenu une affection toute particulière pour le dénonciateur américain des armes à feu.
Mais le vote Moore avait déjà été préparé de longue main par la standing ovation qui avait accompagné la projection du film. Et, depuis lors, c'est la fête chez les petits-bourgeois. Aussi est-il un peu inutile, dans un tel tintamarre, de rappeler à nos compatriotes que l'anti-américanisme n'est pas une aussi bonne affaire que cela. Tout d'abord, sa bassesse resentimentale contribue à nous enfermer dans des certitudes à sens unique qui ne nous rend pas plus intelligents. L'anti-américanisme, par ailleurs, ne nous rend pas plus esthètes. En prônant le succès d'un film sans grâce ni complexité, sans recherche ni remords, le jury de Cannes s'est éloigné de toute lucidité critique. Désormais faut-il croire que les bons sentiments vont faire office de critère d'excellence – pourquoi pas «Amélie Poulain»?

Qu'on me permette une dernière remarque. Je peux comprendre et même aimer le dévouement d'un Michael Moore à la difficile expérience de ses parents. Beaucoup d'entre nous viennent d'une expérience voisine mais, parfois, il leur arrive, touchés par la complexité de notre monde, de donner tout à la fois raison et tort à nos parents, à comprendre le feu de leur engagement et la glace de leur intellection.

Cette approche, plus douloureuse mais plus féconde, éloigne de la justice propagandiste. Elle rapproche parfois aussi d'une justice plus profonde, faite de compassion: nous sommes à une semaine du 60e anniversaire du Débarquement de Normandie où des milliers de jeunes soldats américains inexpérimentés sont venus relever le sacrifice de leurs camarades soviétiques à l'Est et établir les libertés de l'Europe vacillante. Je ne pense pas que ce soit bien honorable de commencer cette commémoration par un crachat à la figure de l'Etat américain représenté par ses dirigeants légitimes, issus depuis 1788 du suffrage universel.

 

 

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